20 ans de règne de Mohammed VI : le Maroc au carrefour de son histoire (2024)

Il n'est pas un roi comme les autres. Entre son grand-père, Mohammed V, qui avait assuré les débuts de l'ère de l'indépendance, et son père Hassan II, qui instaura au Maroc l'un des régimes les plus stricts et autoritaires de la région, Mohammed VI devait trouver sa place et laisser son empreinte sur le Maroc du XXIe siècle, entre vision déterminée de progrès et libéralisation maîtrisée.

Un carrefour à ne pas rater pour au moins quatre raisons. Premièrement, parce que le Maroc est le pays de la région qui a été le moins ébranlé par la vague de contestations populaires traditionnellement appelées «Printemps arabes» mais n'en est pas calmé pour autant après le mouvement du20Février (mouvement de contestation né le20février 2011, qui a abouti à l'instauration par référendum d'une nouvelle Constitution accordant davantage de droits politiques), et celui du Hirak dans le Rif (mouvement de protestation né fin2016dans le Nord, portant des revendications sociales et économiques).

«Peu de Marocains réclament le départ du roi»

Deuxièmement, car peu de Marocains réclameraient le départ du roi. En revanche, ils surveillent et observent la montée en puissance du prince héritier Hassan, ce qui interroge sur la manière dont le roi compte poursuivre son règne dans les années à venir. Troisièmement, parce que les élections communales-régionales-législatives de2021approchent, et force est de constater que le parti islamiste PJD (Parti justice et développement), qui gouverne depuis 2012, se retrouve aujourd'hui bien isolé sur la scène nationale, mais surtout internationale. Ceci est dû à la quasi-disparition dans la région de partis de gouvernance liés aux Frères musulmans, et au retour de l'autoritarisme, conduit surtout par des militaires.

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Dans ce contexte, le Rassemblement national des indépendants (RNI) se voit déjà un avenir semblable à celui des indépendants en Tunisie, qui ont réalisé une percée lors des élections municipales de 2018. Voilà peut-être donc l'occasion d'un retour au Maroc, à la faveur du prochain scrutin, de partis plus traditionnels et ouverts sur le monde. Quatrièmement, car la colère ne cesse de monter, en même temps que la crise économique et sociale, les disparités régionales, le chômage des jeunes et la pauvreté. Un mécontentement nourri en particulier par l'absence d'un système de santé décent, le bas niveau d'éducation, sans parler de l'analphabétisme qui reste massif, tout comme la corruption, qui est généralisée. De vrais défis stratégiques et cruciaux de société s'annoncent donc pour Mohammed VI dès le premier jour de sa 21e année de règne.

«Roi des pauvres»

Depuis1999et l'arrivée sur le trône de Mohammed VI, le Maroc a beaucoup évolué politiquement et socialement, et ce, bien avant les révoltes arabes de 2011. Ancré dans l'histoire et tourné vers le futur, le Maroc fait partie de ces pays attachés à leur monarchie, mais qui aspire également à un changement en profondeur et en douceur. Dès son accession au pouvoir, Mohammed VI, le nouveau monarque, un temps appelé «roi des pauvres»,a rapidement entendu les appels aux réformes et au développement lancés par sa population. Ainsi, il a entamé une série de grands chantiers d'infrastructures et de création de filières industrielles, ainsi qu'une remarquable politique d'essor des énergies renouvelables, accompagnée d'un «plan vert» sans équivalent dans le monde arabe.

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Même s'il a peu à peu perdu son surnom de «monarque des pauvres» que sa sollicitude lui avait valu, ce roi a de toute évidencetransformé l'image du Maroc: par sa jeunesse, son intérêt pour les affaires et la logique économique, sa politique de redéploiement africain, la réforme de la Constitution, la réforme du code de la famille, la reconnaissance nationale de la langue et de la culture amazighe (berbère), ou encore sa politique en matière de lutte antiterroriste. Il a fait du pays un partenaire privilégié et de l'Europe et des États-Unis. Mohammed VI a lancé une politique de grands chantiers, du TGV Tanger-Casablanca, jusqu'au refinancement de la région du Rif, souvent abandonnée par son père, en passant par le maintien de l'autorité de Rabat sur le Sahara malgré les contestations diverses, front Polisario en tête.

Profondes inégalités

Hélas, cela ne suffit plus pour pallier la pauvreté globale des Marocains, lutter contre le chômage endémique des jeunes, endiguer le nombre de candidats au départ, permettre à des millions de Marocains de se soigner, ni pour améliorer la capacité de l'État à enrayer la corruption. Ainsi, sur deux cents pays, le Maroc est classé 123e selon l'Indice de développement humain (IDH), ce qui en fait un élève particulièrement mauvais! Le problème est que la modernisation au Maroc est menée sans politique sociale forte. Certes, celle-ci obtient des résultats, mais creuse en même temps de profondes inégalités.

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Si des mouvements de protestation ont régulièrement lieu de Rabat au Rif, ils témoignent surtout d'une volonté du peuple de profiter des fruits de la modernisation et d'une meilleure redistribution des nombreuses richesses du pays. Le territoire marocain étant très allongé, de Tanger jusqu'aux confins du Sahara, beaucoup de ses régions demeurent encore trop enclavées. Casablanca a beau être devenue une capitale africaine, puissance économique majeure tournée vers le continent, il reste encore de nombreuses zones rurales totalement sous-développées, notamment dans le Rif, dans le Sud désertique ou dans les montagnes de l'Atlas, où des populations et des tribus entières semblent encore vivre comme il y a un siècle.

Les choses bougent, mais pas suffisamment

L'ensemble du Maroc doit pouvoir profiter de ses richesses et d'une meilleure répartition de celles-ci, mais également d'un redéploiement de l'action publique vers les régions sinistrées. Car c'est cette diversité, et cette pluralité d'individus et de visages, qui fait aussi toute la richesse du Maroc: mer, villes, campagne, forêts, montagnes, désert. Tous les paysages de la planète semblent y avoir été concentrés par la main divine. Pays de lumières et de contrastes, le Maroc est aussi devenu le pays de la COP22en 2016, ce qui l'a propulsé dans une logique de développement durable qui peine encore à se généraliser sur le terrain. Le pays est également devenu un spécialiste mondial de l'énergie photovoltaïque, avec l'inauguration, toujours en 2016, de la plus grande centrale solaire de la planète. Au Maroc, les choses bougent, mais pas encore suffisamment.

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Le roi Mohammed VI a également longtemps su séduire grâce à sa femme, Lalla Salma, d'origine berbère, et par son fils, le prince Hassan, très tôt éduqué à l'exercice du pouvoir et visiblement déjà très conscient de sa future charge. Alors que l'Algérie est en pleine transition pour reprendre son destin en main, mais également sa place sur le continent et dans le monde, le Maroc profite du vide laissé par son voisin et rival. À vrai dire, le fait historique qui pourrait dynamiser toute la régionserait de trouver une solution à la question du Sahara (revendiqué à la fois par Rabat et le Front Polisario soutenu par Alger, NDLR), mais également de rouvrir la frontière entre les deux pays, qui reste un traumatisme pour des millions de Marocains et d'Algériens. Les défis sont donc immenses pour préserver ce qui fait, aux yeux de ses partenaires internationaux, la valeur stratégique du Maroc: sa stabilité. C'est tout l'enjeu de la suite du règne de Mohammed VI: rendre pérenne cet équilibre par un progrès social plus étendu, et laisser à son fils un royaume qui, plus que jamais, jouerait le rôle triplement stratégique de pays pivot pour le Maghreb, l'Afrique et l'Europe.

(*)Sébastien Boussois est chercheur en sciences politiques associé à l'Université libre de Bruxelles (ULB), auteur de Portraits marocains, vingt ans de règne de Mohammed VI (Éditions du Cygne, 2019).